Le coming-out au travail : comment aider ?

Hemi_lien
12 min readMay 15, 2021

Troisième partie : parole de concerné·e·s

Au-delà des concepts évoqués dans les deux premières parties et des mesures à mettre en place, des comportements à éviter et à adopter, il convient avant tout d’écouter les personnes qui en seront destinataires. Il est facile d’oublier que tout cela n’est pas miraculeusement sorti de terre mais qu’il s’agit de causes défendues depuis plusieurs décennies par des populations discriminées dont la parole a mis du temps à être écoutée. Les engagements demandés ne sont ni plus ni moins qu’un appel à pouvoir travailler dans des conditions décentes et respectueuses de la vie de chacun et chacune. Connaître les bases des problématiques LGBT+ n’est pas suffisant tant que les voix concernées ne sont pas entendues. Avoir conscience de la façon dont le fait d’être LGBT+ au travail est vécu avant et après avoir fait son coming-out apporte alors un éclairage concret indispensable, ici rendu possible par une série de témoignages.

“J’ai été mise en relation avec une RH qui a été à l’écoute et m’a tout de suite aidée à changer de nom dans mon adresse mail, l’annuaire et le compte professionnel, mais aussi la photo dans le trombinoscope”, Hélène

Il y a autant de façons de faire et d’envisager son coming-out que de personnes pouvant le faire. Auprès de ses amis, de sa famille, de ses collègues, seulement à quelques sphères voire à aucune, tout dépend de ses envies mais parfois aussi de ses possibilités. Pour Didier le Diodic, cadre à la Banque Populaire et adhérent de l’Autre Cercle, le coming-out est venu de lui-même, sans qu’il ne soit planifié à l’avance : « Dans une entreprise où j’ai travaillé fin des années 1980 début des années 1990, je venais le jour du Sidaction avec mon badge mais sans faire plus de commentaires. Et à la Banque Populaire, mon compagnon m’a conduit au travail un jour en prenant soin de me déposer à la vue de mes collègues ». Il s’agit donc parfois de vivre simplement sa vie sans nécessairement en faire une annonce, considérant de toutes manières que cela n’est pas nécessaire. Une méthode partagée par beaucoup d’autres personnes si l’on en croit les témoignages disponibles ici et là. Laure Delahaye quant à elle, corrige lors des discussions : « Quand on me parle de ‘’mon copain’’, je dis ‘’ah non c’est une copine, eh oui !’’ ». Une manière de tordre le coup aux automatismes et d’inciter à ne pas présupposer de l’hétérosexualité par défaut. Aujourd’hui cadre chez Nokia et membre du réseau « Equal! », Laure a également dû gérer sa transition pendant le début de sa carrière professionnelle, avec un accueil oscillant entre le chaleureux et le problématique : « Dans une précédente entreprise les RH ont été de bonne volonté et il y a même le DG qui a réuni les 300 personnes pour expliquer le principe de ma transition, que maintenant on devait m’appeler Laure et dire elle, etc. Mais j’avais un N+2 qui essayait de m’humilier en me faisant des remarques blessantes, en me mégenrant devant tout le monde ou en me reprochant mes congés en lien avec ma transition ». Une hostilité qui ne l’aura heureusement pas poursuivie : « Dans l’entreprise suivante, j’ai été absente pendant deux mois à la suite d’une opération pour ma transition et tout s’est bien passé, personne ne m’a reproché quoi que ce soit ». Caroline Racanier, employée chez Orange depuis 18 ans créatrice du site « jedeculpabilise.com » et membre de l’association « Mobilisnoo » abonde dans l’idée de ne pas présupposer de l’hétérosexualité : «En arrivant chez Orange j’étais mariée avec un homme dont j’ai divorcé quelques années après pour ensuite me mettre avec une femme. Je ne suis pas complexée de base et ça m’a paru normal d’en parler à partir d’un moment, d’autant que mon lieu de travail était ‘gay-friendly’. Mais d’ici à ce que tout le monde soit au courant, ça me faisait un peu quelque chose quand, en disant « ma femme » lors de conversations, je percevais des légers sursauts venant de collègues». Hélène Teil, salariée chez Orange et également membre de « Mobilisnoo » témoigne quant à elle de l’importance de la sensibilisation et des politiques d’inclusivité : « J’ai 57 ans et j’ai fait mon coming out en entreprise fin 2019, quelques mois après le début de ma transition de genre. J’ai pu être aidée par le pôle diversité de Orange et une assistante sociale en entreprise. J’ai été mise en relation avec une RH qui a été à l’écoute et m’a tout de suite aidée à changer de nom dans mon adresse mail, l’annuaire et le compte professionnel, mais aussi la photo dans le trombinoscope. Tout ça dans le jour même. J’ai ensuite pu expliquer ma situation à l’équipe, tout s’est très bien passé, j’ai même eu des applaudissements à la fin ! »

« Je me suis senti libéré de parler ouvertement de mon mari après mon mariage. Il faut avoir fait son coming-out au travail pour savoir à quel point on se sent mieux après », Eric

Cependant, le coming-out professionnel n’est pas systématique et il n’est pas rare que certains et certaines n’évoquent jamais leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Parfois par peur si l’ambiance de l’entreprise rend cela dangereux, mais aussi simplement par désintérêt : « il y en a qui ne le font pas simplement parce que dans leur contexte ça n’est pas utile et que ce n’est pas une revendication » précisent des membres de « Equal ! ». Un état de fait qui ne doit pas faire oublier qu’encore beaucoup de structures maintiennent une ambiance toxique empêchant l’affirmation de soi. C’est d’ailleurs une cause unanimement décrite durant les témoignages comme étant une des principales raisons empêchant de faire son coming out auprès de son équipe. A l’inverse, il est possible de faire en sorte que les ceux-ci se fassent rapidement et naturellement. On l’a vu précédemment, une ambiance de travail ainsi qu’une culture d’entreprise inclusives et bienveillantes envers les personnes LGBT+ aide beaucoup. Mais il en faut parfois un peu plus. Par exemple avec des évènements visant à rendre visibles les luttes. Que ce soit avec des évènements nationaux comme le Sidaction ou la journée internationale de la visibilité transgenre, ou bien par des évènements propres à l’entreprise. Caroline a ainsi fait son coming out à la faveur d’un évènement organisé par le pôle diversité : « Il y avait un post sur l’intranet pour inciter à participer à un reportage sur les causes LGBT+. J’ai donc répondu dans les commentaires que j’étais volontaire, et je me suis donc assumée auprès de mes collègues. ». Et même si une grande partie du travail vient de la volonté des personnes concernées («si les personnes concernées ne s’acceptent pas elles-mêmes, personne ne le fera. Il faut montrer le chemin », « Je me suis senti libéré de parler ouvertement de mon mari après mon mariage. Il faut avoir fait son coming-out au travail pour savoir à quel point on se sent mieux après »), une aide active de son entreprise ou d’une association liée est parfois nécessaire. Éric Bruth, délégué de « Equal ! » pour la France, avance que la présence d’un réseau LGBT+ au sein d’une entreprise peut parfois être salvateur. Le groupe Nokia étant présent dans des pays très hostiles aux personnes LGBT+, l’association peut alors servir de soutien aux employé·e·s en difficulté : « Nokia ne peut pas aller au-delà des lois locales, on ne peut donc pas avoir la même politique interne dans tous les pays. Mais on peut quand même apporter du soutien, des conseils et des relations dans les pays ‘’difficiles’’ ». Parfois, une entreprise, et par extension son réseau LGBT+, peut fournir une aide aux proches de personnes concernées : « Un jour j’ai été contacté par un employé dont le fils venait de finir sa transition. Il se sentait isolé car son fils peinait à se faire reconnaître administrativement. On l’a alors orienté vers des associations spécialisées ce qui a fortement aidé son fils et a ‘’changé leur vie’’ selon ses termes. C’est aussi comme ça qu’un réseau d’entreprise peut servie de soutien. Même s’il faut faire attention et ne pas aborder ce que l’on ne sait pas ou peut pas faire en entreprise. On n’est pas là pour parler de sexualité ou d’aspect médicaux par exemple. On guide vers les personnes compétentes mais on n’est pas là pour les remplacer. ».

“Une entreprise mettait en place des groupes de parole pour les collaborateurs et collaboratrices cis-hétéro lorsqu’un ou une collègue entame une transition, pour anticiper les questions et remarques gênantes ou blessantes par ignorance”, Caroline

Bien que les processus externes aient leur importance, la politique interne d’une entreprise reste nécessaire dans la lutte contre les LGBT-phobies ou tout simplement pour s’assurer que chacun et chacune se sente à sa place, libre de simplement être. Mais que mettre concrètement en place ? A quels niveaux une entreprise peut agir ? Laure a quelques exemples : « Parmi les premières choses qu’une boîte peut faire, c’est avoir une communication ouvertement LGBT-friendly et organiser des actions comme une semaine de la diversité par exemple. Signer la charte de l’Autre Cercle si ce n’est pas déjà fait, c’est une bonne idée aussi ». Opinion partagée par Hélène pour qui aider à s’attaquer aux mesures bloquantes comme l’état civil permet de faciliter d’autres changements comme le nom sur la fiche de paie. Ce qui s’applique également aux champs bloquants dans les formulaires et logiciels concernant les mentions de parentalité, empêchant de mettre deux fois « père » ou « mère » par exemple. « De même, instaurer les égalités de congés pour les foyers homoparentaux », complète Éric. Mais plus que des actions de bonne volonté, des mesures concrètes et immédiates sont nécessaires avant tout. Pour Laure, « créer un réseau LGBT+ interne si c’est possible ça aide beaucoup. Assurer la flexibilité dans l’administratif c’est très utile dans le cas d’une transition : pouvoir changer les noms et pronoms, le genre, sur tous les documents internes et les identifiants mail. Et aussi permettre une flexibilité dans l’emploi du temps pour la convalescence et les rendez-vous médicaux. De manière générale, faire en sorte que les personnes trans soient écoutées, respectées, pas mégenrées. ». Caroline, elle, a d’autres exemples pour rendre un lieu de travail plus sain, ou s’assurer qu’il le soit : « Une entreprise qui assumait son engagement en faveur des causes LGBT+ avait mis des affiches pour le mois des fiertés. C’était en fait un moyen pour mesurer l’homophobie : elle comptait combien d’affiches étaient arrachées ou taguées et adaptait sa stratégie en conséquence. Une autre mettait en place des groupes de paroles pour les collaborateurs et collaboratrices cis-hétéro lorsqu’un ou une collègue entame une transition, pour anticiper les questions et remarques gênantes ou blessantes par ignorance ».

“Si une personne est bien accueillie, bien traitée et respectée, elle sera plus en confiance, plus motivée et donc plus performante” Laure.

La question du respect implique une autre action de la part des entreprises, moins visible : celle de la culture et de la mentalité interne. Levier sur lequel il est le plus complexe d’agir, mais également le plus important, par son impact aussi puissant que durable. Selon Laure, « c’est également le rôle de l’entreprise d’éduquer sur les questions LGBT+, de sensibiliser, de donner la parole. C’est important parce que ça permet aux personnes concernées de se libérer l’esprit et d’être plus en confiance. Faire réaliser l’importance des luttes par les employé·e·s cisgenre/hétérosexuelles ça permet par exemple d’éviter les plafonds de verre ». Pour Didier, il est impératif que les personnes en situation de responsabilité « écoutent attentivement quand on leur remonte des problèmes et interviennent auprès des équipes et des managers. Que la direction s’exprime clairement en faveur de nos droits est également une priorité sur ce sujet. Des ateliers d’écoute et de formation, basés sur un suivi émotionnel et menés par des personnes formées à la psychologie, peuvent aussi réduire les ignorances ou détecter les cas hostiles.». Pour justifier l’absence d’engagement en faveur des droits LGBT+, certaines entreprises répliquent avec l’idée que l’on doit strictement séparer la vie personnelle et la vie professionnelle. Toutes et tous répondent alors d’une même voix : c’est absolument impossible. « C’est impossible de ne pas mélanger pro et perso. Tout le monde parle de son week-end à la machine à café et c’est normal » affirme Éric. Un paradoxe apparaît alors : il faudrait sociabiliser avec ses collègues, parler de sa vie personnelle sans se cacher mais dans le même temps ne pas exiger les conditions permettant son expression. Pour Hélène, « on ne peut pas tenir à l’écart d’une entreprise les questions sociales, étant donné qu’on passe une grande majorité de son temps au travail. On doit en parler pour aider les gens à se construire. La limite se trouve dans le respect de la vie privée et du consentement. ». D’autres avancent qu’aborder ces problématiques serait bénéfique pour tout le monde, employé·e·s comme entreprises. « Si une personne est bien accueillie, bien traitée et respectée, elle sera plus en confiance, plus motivée et donc plus performante. Si tout se libère alors c’est tout bénef’ pour tout le monde » précise Laure. Caroline fait un parallèle entre les mesures à prendre et celles déjà en place pour la SST (Santé et Sécurité au Travail) : « Au même titre que l’on fait attention aux troubles musculosquelettiques, on doit veiller aux comportements homophobes qui peuvent tout autant faire souffrir et empêcher de travailler. Si on ne désigne jamais ces problèmes, on ne les verra jamais et on ne les règlera jamais. »

Globalement les coming out sont de moins en moins difficiles à faire dans une structure professionnelle et tendent à être mieux accompagnés et anticipés. Il ressort la conviction que si le pire semble être passé, le mieux reste à venir. La bienveillance, la compréhension, le respect paraissent ne plus faire figure d’exception. Des messages d’espoir suintent des différents témoignages. « C’est aussi à nous, personnes concernées de montrer la voie à celles et ceux qui ont encore du mal à s’assumer »,

« Aux personnes cisgenres et héteros : avant de juger, essayez d’écouter, de vous renseigner, de comprendre le vécu. Et aux personnes trans : vous pouvez le faire. Faites-vous aider, parlez-en. Un jour, il faudra se jeter à l’eau. »

Merci à Caroline, Eric, Didier, Laure, Hélène et l’ensemble des membres de l’Autre Cercle, Equal ! et Mobilisnoo pour avoir conscré leur temps à la réalisation de cet article.

Merci à Laura Uhl, Victoire Bonnaud et Jean-Luc Ricaud pour leur aide

Les réseaux des associations ici :
Equal! : https://equal.org/
Mobilisnoo : http://www.mobilisnoo.org/ ; Mobilisnoo-officiel
L’Autre Cercle : https://www.autrecercle.org/ ; @autrecercle

Cet article est le dernier d’une série en trois parties autour du coming out dans le milieu professionnel. Il a été écrit dans le cadre du projet “Parlons Diversités” qui vise à interpeller les entreprises autour des questions d’inclusivité et de luttes sociales et environnementales, à travers des réflexions, de la pédagogie et des témoignages. Plus d’informations sur le compte Instagram @parlons_diversites

Glossaire (issu du site wikitrans.co) :

Cisgenre : Personne non transgenre. Individu qui ne remet pas en cause le genre attribué à la naissance.

Personne transgenre : Personne qui ne se reconnaît pas dans le genre attribué à la naissance. Elle peut le garder caché ou modifier son expression de genre et entamer une transition sociale et/ou physique vers le genre auquel elle s’identifie. Synonymes : « transidentitaire », ou, familièrement, « trans », ce dernier terme étant à éviter dans un contexte professionnel

Transidentité : La transidentité désigne le fait d’avoir une identité de genre différente de l’identité assignée à la naissance. On bannira le terme « transsexualité » au profit du terme « transidentité »

Transsexualité : En raison du parallèle quasi systématique établi à tort entre le genre et la sexualité, ce terme est à déconseiller. La médecine va utiliser cependant le terme de « transsexualisme » ou de « dysphorie de genre » (sentiment de ne pas appartenir au genre assigné). De même on évitera le mot « transsexuel » que certains conservent pour signifier un changement d’apparence génitale.

Distinction entre sexe et genre : Le sexe pour l’État civil est assigné en fonction des données anatomiques. Le genre est une notion plus complexe qui n’est pas définie par la biologie mais par la société. C’est l’ensemble des comportements, des manières de se présenter, des « rôles », qu’une civilisation assigne différemment à chaque genre reconnu. En France, l’assignation de genre (fille ou garçon) se fait à la naissance au vu des organes génitaux, et est inscrite dans l’acte de naissance de manière indélébile. Il est important de comprendre que le sexe ne fait pas le genre et inversement.

Identité de genre : Le genre auquel une personne se sent appartenir.

Genre exprimé (expression de genre) : Ensemble des codes et comportements appropriés par une personne afin de correspondre à un genre reconnu par la société. Dans le cas d’une personne transgenre, cette expression est en contradiction avec le genre assigné à la naissance.

Orientation sexuelle : Genre envers lequel on est attiré·e sexuellement. Parmi les termes récurrents on retrouve l’hétérosexualité, l’homosexualité (gay et lesbienne), la bisexualité, la pansexualité (avoir une attirance pour tous les genres indistinctement, cis, trans et non-binaires compris), l’asexualité (n’avoir d’attirance sexuelle pour aucun genre. Il peut cependant y avoir parfois une attirance romantique). A noter que l’orientation sexuelle est à considérer comme un spectre et non comme un système discret avec un nombre fini d’orientations. C’est pour cela que certains et certaines se définissent comme hétéro/homosexuelles à « x% ».

Merci d’avoir lu cette série jusqu’au bout 😊 !

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Zigoto gratte-papier 🦉 Société, luttes sociales, pop culture et tout un tas de bidules en tout genre. Photo par Macowka. Instagram : @hemi_lien