Le coming-out au travail : comment aider ?

Hemi_lien
10 min readMay 13, 2021

Deuxième partie : les mesures à prendre

Le coming-out est le fait pour une personne non-hétérosexuelle et/ou non-cisgenre d’assumer sa sexualité et/ou son identité auprès de ses proches, son entourage, ses collègues, le public en général, etc. On pourrait traduire ne français par l’expression familière « sortir du placard ». Il s’agit d’une marque de confiance importante et d’un passage fondamental dans le processus d’acceptation de soi, souvent accompagnée d’une crainte que l’annonce se passe mal. En effet il n’est pas rare que les personnes en face aient une réaction de rejet, allant de la négation de ce qui a été révélé jusqu’à la violence physique ou psychologique. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’une forme d’exclusion soit mise en place après un coming-out, par la famille notamment. Dans le milieu professionnel, il est plutôt commun de trouver des témoignages de coming-out ayant été bien accueillis, mais non moins rare d’avoir connaissance de récits de mauvaises expériences (voir la section témoignages en fin d’article). Les réactions négatives peuvent prendre différentes formes : cela peut être sous la forme de propos LGBT-phobes sous couvert d’humour, d’une mise à l’écart de la part des collègues, ou encore d’une inégalité dans le déroulement de la carrière par rapports aux personnes hétérosexuelles et cisgenres. Ce sont ces trois formes de discrimination que les travailleur·euse·s LGBT+ déclarent subir d’après un sondage Ifop pour l’Association l’Autre Cercle [1]. Une discrimination qui n’est d’ailleurs pas toujours perçue par les collègues hétérosexuels, notamment en ce qui concerne le plafond de verre. A noter également que le harcèlement peut être courant, sans que l’on en soit nécessairement conscient·e. La mise à l’écart en est déjà une forme, mais on peut également trouver la répétition de propos dégradants, la dévalorisation systématique, la sanction abusive, etc. Devant ces problèmes encore trop fréquents, beaucoup préfèrent ne pas révéler ouvertement cet aspect de leur vie, notamment à leur hiérarchie [1]. Ils et elles sont alors contraint·e·s de s’inventer une relation hétérosexuelle ou de cacher leur vie sentimentale et ne peuvent donc pas partager leur vie librement et s’engager pleinement dans des relations de confiance entre collègues. C’est pourquoi il est nécessaire pour une entreprise et pour ses responsables de prendre des mesures concrètes pour créer un environnement favorable à l’épanouissement et de mettre en avant des valeurs de diversités.

Le cas d’un coming-out transgenre (ou non-binaire ou toute autre identité de genre accompagnée d’une transition) est d’autant plus délicat qu’il concerne une minorité encore moins représentée et sujette à l’ignorance de la société, mais également dans le sens où une telle révélation s’accompagne en général de changements visibles si la transition commence. En plus des potentiels remarques malveillantes, de l’hostilité que manifestent certain·e·s vis-à-vis des personnes transgenres, de l’ignorance à propos de la transidentité et des stéréotypes, il y a cette fois-ci aussi un risque de réactions négatives liées à l’évolution physique. Un homme ou une femme transgenre décidant de lancer un processus de transition va ainsi prévenir sa hiérarchie de son souhait afin de pouvoir être désigné·e par des pronoms appropriés à son identité de genre par exemple, mais également pour prévenir ses collègues des éventuels changements physiques à venir, si c’est son souhait. C’est donc un processus encore moins anodin puisqu’il s’accompagne de conséquences concrètes et est déterminant pour le bien-être au travail de la personne concernée, d’où le besoin d’un accompagnement proactif de la part de l’employeur afin de faciliter la transition.

En tant que collègue ou chef·fe d’équipe, il est de sa propre responsabilité de s’éduquer sur la réalité des vies de ses partenaires de travail en passant par un rejet de ses avis préconçus et une ouverture à la remise en question. Il y a encore aujourd’hui énormément d’idées reçues et de fantasmes sur la non-hétérosexualité et l’identité de genre, bien trop. Parfois si profondément ancrées, qu’il est possible de ne pas se rendre compte que l’on est blessant·e ou gênant·e. Plutôt que de répondre une énième fois aux vieux clichés éculés (se renseigner par soi-même est une démarche à adopter), il est plus intéressant dans l’immédiat de rappeler les quelques phrases et attitudes à éviter lorsque l’on s’adresse à un·e collègue LGBT+ [2] [3] :

Le site wikitrans.co propose de nombreuses ressources de pédagogie et d’accompagnement pour s’éduquer sur le sujet des transidentités

- « Comment tu es devenu·e gay/lesbienne/bi/trans… » : on ne « devient » pas ce que l’on est, ce n’est pas non plus un « choix ». Il s’agit d’une découverte, de s’assumer, de s’accepter. Il s’agit de quelque chose que l’on ressent au plus profond de soi, à propos de qui l’on est ou de qui l’on aime, parfois depuis longtemps. C’est une composante de ce que l’on est.

- « Tu n’as pas l’air gay/lesbienne/bi/trans… » : il n’y a pas « d’air » associé à une sexualité ou une identité de genre. Ce type de phrase est symptomatique de la volonté de la société de vouloir remettre une norme sur une population qui dévie des normes de genre classiques. Les lesbiennes n’ont pas nécessairement les cheveux courts décolorés et les gays ne sont pas obligatoirement maquillés. Il n’y a pas de « profil type » et penser le contraire est un problème.

- « Tu es bi, mais du coup tu envisages tout le monde ? » : De la même manière qu’une personne hétérosexuelle ou homosexuelle n’est en général pas attirée par l’intégralité de la population envers laquelle elle a une attirance, la plupart des bisexuel·le·s ou pansexuel·le·s n’envisagent pas une relation avec tous les êtres rencontrés, et ne sont pas mystiquement plus volages.

- « On dirait une vraie femme/un vrai homme » (à une personne trans) : Même si cela peut partir d’une bonne intention, il s’agit d’une remarque très maladroite et blessante. Elle sous-entend que le sujet de la conversation n’est pas vraiment et entièrement du genre auquel il s’identifie, ce qui est psychologiquement violent à entendre.

- « Mais du coup tu es hétéro ou homo ? » (à une personne trans) : L’orientation sexuelle d’une personne trans se nomme en fonction du genre auquel elle s’identifie et des personnes envers lesquelles elle est attirée (on rappelle qu’identité de genre et orientation sexuelle sont deux notions bien différentes et indépendantes). Mais surtout il s’agit d’une question indiscrète, tout comme il est malvenu de le poser à une personne cisgenre. Il est bien plus poli d’attendre que votre interlocuteur·rice le précise le moment venu.

On bannira également :

- Les questions ou les sous-entendus à propos de l’appareil génital à une personne trans : De la même manière qu’il est inapproprié et incongru de demander subitement à un collègue cisgenre quelle est la taille de son pénis, chercher à savoir si une personne trans a eu recours à la chirurgie pour les organes génitaux est extrêmement déplacé. Ce qui se trouve dans un pantalon ne concerne que la personne qui le porte.

- Ne pas utiliser les pronoms voulus et ne pas genrer correctement une personne trans ou non-binaire : C’est un manque de respect grave qui revient à nier une personnalité. En toutes circonstances, on doit utiliser les pronoms avec lesquels une personne souhaite être désignée (par exemple il/elle/iel, lui/elle/elui, etc).

- Toute négation de l’identité de genre d’une personne, que ce soit direct ou sous-entendu (c’est-à-dire tout ce qui peut se rapprocher de la phrase « les femmes/hommes trans ne sont pas de vrai·e·s femmes/hommes) : il s’agit d’un acte transphobe, donc répréhensible.

Extrait du guide de l’Autre Cercle sur les bonnes pratiques à adopter sur la transidentité pour les DRH et managers (lien à la fin de l’article).

Tout cela relève du savoir-vivre et de la politesse élémentaire. Ainsi, il peut être normal de faire une erreur ou de commettre un impair, surtout au début, mais il est nécessaire de s’excuser et de tâcher de ne plus recommencer. S’énerver lorsqu’on est repris·e est également à bannir, pour la simple et bonne raison qu’être responsable dans un manque de respect incombe de prendre sur soi. Du point de vue managérial, une grande partie du travail peut être abattue en amont. Former son équipe à la lutte contre le harcèlement et aux stéréotypes envers les LGBT+ permet de partir du bon pied avant même qu’un·e concerné·e ne fasse un coming-out. Rappeler les valeurs d’acceptation et de diversité de l’entreprise afin qu’aucune forme d’hostilité ne soit tolérée, que l’hospitalité reste une évidence. Il faut cependant éviter de prendre les devants sans le consentement de la personne concernée mais plutôt lui laisser faire ce qui la concerne et agir en soutien, avec son accord. Respecter ses besoins est primordial. Par ailleurs, un coming-out à se fait rarement en grande pompe, cérémonieux. Très souvent cela se fait de manière naturelle, au détour d’une conversation banale à table ou à la machine à café. Notamment parce que c’est quelque chose de normal qu’il faut accueillir comme tel et non pas le crier aux quatre coins des locaux (rappel : on ne « out » pas quelqu’un sans son consentement). Il s’agit également d’un évènement heureux, qu’il faut traiter comme tel, et non pas avec de la pitié. Plus encore dans le cas d’une transition, où soutenir positivement comme à l’annonce d’un heureux évènement (c’en est d’ailleurs un) est largement préférable à de la compassion qui sous-entendrait que la transidentité est perçue comme une souffrance. Un·e chef·fe d’équipe aura également la responsabilité d’être dans l’accompagnement, de soutenir la démarche de toutes les manières possibles. En discutant avec le·a concerné·e et en l’écoutant sur la marche à suivre pour la suite, en faisant preuve de son soutien actif, par exemple en changeant les noms d’usage sur les documents administratifs (ce qui peut d’ailleurs servir à faciliter le changement d’état civil) ou en facilitant les congés pour les convalescences liées à la transition. Se renseigner auprès d’organisations compétentes ne saurait être que trop conseillé. A titre d’exemple, des associations comme L’Autre Cercle mettent à disposition un guide en ligne suggérant les actions à mener pour accompagner au mieux une transition [3]. Dans tous les cas, le mot d’ordre est d’écouter et de respecter les désirs de la personne concernée qui trouvera une vraie force nécessaire dans le soutien de ses collègues et de sa hiérarchie. D’une manière générale, avoir de l’empathie pour son groupe de travail, être à l’écoute, observer et répondre présent·e lorsqu’il le faut, se désolidariser et s’opposer aux propos et actes hostiles, sont les bases d’un espace épanouissant, quelques soient les personnes que l’on côtoie.

Cet article est le deuxième d’une série en trois parties autour du coming out dans le milieu professionnel. Il a été écrit dans le cadre du projet “Parlons Diversités” qui vise à interpeller les entreprises autour des questions d’inclusivité et de luttes sociales et environnementales, à travers des réflexions, de la pédagogie et des témoignages. Plus d’informations sur le compte Instagram @parlons_diversites
Prochaine partie : témoignages de concerné·e·s.

Glossaire (issu du site wikitrans.co) :

Cisgenre : Personne non transgenre. Individu qui ne remet pas en cause le genre attribué à la naissance.

Personne transgenre : Personne qui ne se reconnaît pas dans le genre attribué à la naissance. Elle peut le garder caché ou modifier son expression de genre et entamer une transition sociale et/ou physique vers le genre auquel elle s’identifie. Synonymes : « transidentitaire », ou, familièrement, « trans », ce dernier terme étant à éviter dans un contexte professionnel

Transidentité : La transidentité désigne le fait d’avoir une identité de genre différente de l’identité assignée à la naissance. On bannira le terme « transsexualité » au profit du terme « transidentité »

Transsexualité : En raison du parallèle quasi systématique établi à tort entre le genre et la sexualité, ce terme est à déconseiller. La médecine va utiliser cependant le terme de « transsexualisme » ou de « dysphorie de genre » (sentiment de ne pas appartenir au genre assigné). De même on évitera le mot « transsexuel » que certains conservent pour signifier un changement d’apparence génitale.

Distinction entre sexe et genre : Le sexe pour l’État civil est assigné en fonction des données anatomiques. Le genre est une notion plus complexe qui n’est pas définie par la biologie mais par la société. C’est l’ensemble des comportements, des manières de se présenter, des « rôles », qu’une civilisation assigne différemment à chaque genre reconnu. En France, l’assignation de genre (fille ou garçon) se fait à la naissance au vu des organes génitaux, et est inscrite dans l’acte de naissance de manière indélébile. Il est important de comprendre que le sexe ne fait pas le genre et inversement.

Identité de genre : Le genre auquel une personne se sent appartenir.

Genre exprimé (expression de genre) : Ensemble des codes et comportements appropriés par une personne afin de correspondre à un genre reconnu par la société. Dans le cas d’une personne transgenre, cette expression est en contradiction avec le genre assigné à la naissance.

Orientation sexuelle : Genre envers lequel on est attiré·e sexuellement. Parmi les termes récurrents on retrouve l’hétérosexualité, l’homosexualité (gay et lesbienne), la bisexualité, la pansexualité (avoir une attirance pour tous les genres indistinctement, cis, trans et non-binaires compris), l’asexualité (n’avoir d’attirance sexuelle pour aucun genre. Il peut cependant y avoir parfois une attirance romantique). A noter que l’orientation sexuelle est à considérer comme un spectre et non comme un système discret avec un nombre fini d’orientations. C’est pour cela que certain·e·s se définissent comme hétéro/homosexuelles à « x% ».

Sources (à consulter pour plus de détails) :

[1] Le rapport de la HALDE sur l’homophobie en entreprise : https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/enquete_lhomophobie_dans_lentreprise.pdf

[2] Les comportements à proscrire et à valoriser : https://wikitrans.co/intro

[3 ]Le guide de l’Autre Cercle pour l’aide à l’accompagnement des transitions : https://www.autrecercle.org/sites/default/files/Federation/communication/2019-03-26_guide-transidentite-andrh-autre-cercle.pdf

Des témoignages de coming-out professionnels, positifs comme négatifs, avec plusieurs profils :

https://tetu.com/2019/04/17/coming-out-au-travail-evidence/

https://www.liberation.fr/apps/2017/06/coming-out/#item-10o

Une sélection de contenus pour aller plus loin :

Une définition sociologique du genre et son évolution dans le temps sur la page Wikipédia associée : https://fr.wikipedia.org/wiki/Genre_(sciences_sociales)

Quelques stéréotypes rapidement contredits :

https://www.youtube.com/watch?time_continue=122&v=wCjZvpya470&feature=emb_title

Pour s’éduquer sur les questions LGBT+ :

https://cestcommeca.net/je-tiens-bon/les-stereotypes-et-prejuges-sur-les-lgbt/

Pour s’éduquer spécifiquement sur la transidentité et l’identité de genre :

Merci à Jean-Luc Ricaud, Laura Uhl et Victoire Bonnaud pour leur aide.

Et bien sûr, merci d’avoir lu 😊!

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